Site icon Association des résidents de la Terrasse Lakeview

Historique

Carnaval 1963 | Carnival 1963

Histoire de Lakeview Terrace

En janvier 1945, quatre mois avant le jour de la Victoire, l’Office de l’établissement agricole des anciens combattants soumettait au Conseil de ville de Hull Sud un projet de subdivision de l’ancienne ferme Patrick Clark, située entre ce qui est aujourd’hui le chemin d’Aylmer d’en haut et le chemin d’en bas, à l’ouest du champ de courses de Connaught Park.

Loi sur les terres destinées aux anciens combattants

La Loi sur les terres destinées aux anciens combattants, qui faisait suite à la Loi sur l’établissement de soldats de la première guerre mondiale, fut adoptée par le Gouvernement du Canada en 1942, en même temps que d’autres mesures visant à faciliter la réinsertion des anciens combattants dans la vie civile à la fin de la guerre. La nouvelle loi prévoyait une aide financière pour tous les anciens combattants qui souhaitaient se livrer à l’agriculture soit à temps plein, soit à temps partiel. L’agriculteur à temps partiel s’établissait habituellement sur une petite propriété de 3 à 5 acres, mais pendant quelques années, on mit à l’essai des projets de quartiers situés en banlieue et constitués de lots d’une demi-acre.

Pour avoir droit à une petite propriété, le candidat devait être un ancien combattant de la deuxième guerre mondiale, il devait avoir quitté les Forces armées sans avoir bénéficié des avantages offerts aux anciens combattants à cette époque, comme l’aide à la formation. Il n’était pas nécessaire d’avoir servi outre-mer.
Il importait que le candidat ait une profession qui lui assurerait une grande partie de ses revenus. La plupart des petites propriétés étaient donc situées près de villes ou de villages où l’on pouvait trouver de l’emploi. Le candidat devait verser un paiement initial représentant 10 % de la valeur de la propriété et être en mesure d’effectuer les paiements d’hypothèque chaque mois. Seules étaient admises les personnes qui avaient fait preuve de « . . . bonne personnalité, d’un caractère stable et du sens de l’épargne . . . » et savaient être prévoyantes.
La plus importante clause du contrat était sans doute celle qui voulait que l’ancien combattant mette en valeur sa propriété pour pouvoir, au bout de quelques années, en vendre le produit et en tirer un revenu d’appoint en cas de besoin. On l’encourageait à se spécialiser dans un ou deux produits en demande dans sa région (volaille, fruits, fleurs, culture maraîchère, apiculture) plutôt que de toucher à de nombreux produits.

Un extrait du « Handbook for Servicemen » publié en 1944 résumait le cadre, les objectifs et les grandes lignes de la Loi et présentait ainsi les objectifs des petites propriétés :
« En débutant sur une petite échelle l‘ancien combattant et sa famille subviendront à une partie de leurs besoins en produisant des aliments sains et, l’expérience aidant, ils décideront des aspects qui correspondent le mieux à leurs goûts et à leurs besoins. Dans certains cas, l’ancien combattant transformera graduellement sa propriété jusqu’à ce qu’il puisse quitter son premier emploi et se lancer à temps plein dans la production spécialisée; dans d’autres cas, l’ancien combattant préférera garder son emploi et faire de sa propriété une simple demeure où il y aura place pour un passe-temps sain et intéressant.
Le même ouvrage stipulait que la Loi sur les terres destinées aux anciens combattants
« …ne doit pas servir de bouche-trou après la démobilisation. Elle doit être le point de départ de l’avenir, grâce auquel les anciens combattants établiront leurs foyers et en deviendront les propriétaires. » On offrait aux anciens combattants « …une place dans l’avenir du Canada… »
L’Office de l’établissement agricole des anciens combattants était dirigé par un directeur qui dépendait du ministre des Affaires des anciens combattants. Dans tout le Canada, divers bureaux régionaux étaient dirigés par des responsables régionaux assistés de comités consultatifs locaux. Le bureau régional dont dépendait Lakeview Terrace se trouvait à Montréal. Le premier responsable régional fut E. J. Tapp; l’intérêt qu’il portait aux anciens combattants se lisait dans la trame même de la petite communauté qui vit le jour en 1946 avec les « quarante premiers».

Histoire de la ferme Clark

La subdivision destinée aux anciens combattants se trouvait dans la municipalité de Hull Sud, sur les lots 15a, 15b et 16a du premier rang et sur le lot 16e du deuxième rang. Bien que la propriété fût connue sous le nom de « Ferme Clark », elle avait été établie par Robert et William Conroy dans les années 1870 (p. 12).
Comme leur père Robert Conroy d’Aylmer, R. et W. Conroy étaient bûcherons. Pendant les années 1870, leur grande scierie située aux rapides Deschênes employait assez de monde pour donner naissance au village de Deschênes. La ferme des Conroy se trouvait sur une terre qui leur venait de leur grand-père, William McConnell. C’était une des fermes laitières et d’élevage de bétail les plus connues de l’Est du Canada.

En 1889, la ferme de 150 acres comprenait plusieurs bâtiments situés sur l’emplacement actuel de l’école St-Médard.

1. Un bâtiment de bois d’un étage et demi et des dépendances, occupées par le responsable de la production de bétail et les employés.
2. Unité de production de beurre et de crème avec un équipement des plus modernes pour la production du lait, pouvant traiter le lait de 400 à 500 vaches.
3. Une grande porcherie en bois d’une capacité de 150 porcs.
4. Un poulailler.
5. Des écuries.
6. Des postes d’alimentation, des silos et de grandes étables en bois.

En 1902, la ferme et les bâtiments furent achetés par Patrick Clark qui la nomma « Silver Spring Farm » à cause de l’excellente eau de source qu’on y trouvait en abondance et que Clark vendait en bouteilles à l’intention des bureaucrates d’Ottawa. Clark reprit avec succès l’exploitation de la laiterie et finit par la céder à bail à John Lumsden pendant les années 20 et au début des années 30.

Lumsden, un millionnaire extraverti dont la fortune s’était faite dans le commerce du bois, en fit une ferme modèle exploitée d’après les idées les plus récentes de l’époque. On venait de très loin voir les grands troupeaux de laitières de race Holstein logées dans des conditions sanitaires tellement parfaites que le lait n’avait pas besoin d’être pasteurisé. Les employés en blouse blanche se lavaient les mains avant de traire et des convoyeurs mécaniques évacuaient le fumier tout en évitant les éclaboussures et la contamination.
A la fin des années 30, Clark se retrouva sans locataire sur sa ferme et était trop âgé pour s’en occuper lui-même; en 1942, il vendit la terre et les bâtiments à l’Office de l’établissement agricole des anciens combattants qui en fit un lotissement.

La subdivision

La subdivision, telle que présentée par l’Office de l’établissement agricole des anciens combattants, comprenait 240 lots d’une demi-acre. Ceux-ci constituaient les plus petites propriétés permises par l’Office dans le programme de lotissement. Ce concept de lots d’une demi-acre fut finalement abandonné, car des propriétés de cette grandeur ne répondaient pas aux objectifs du programme de lotissement de l’Office (p. 13).
Le lotissement avait la forme de deux ovales concentriques reliés à intervalles réguliers par quatre petites rues et coupés d’est en ouest par une rue plus longue, Laurier. Les deux ovales étaient encadrés de quatre côtés par des alignements d’habitations, ce qui avait pour effet d’entourer et de délimiter le quartier. Du nord au sud, le quartier était traversé par le chemin Deschênes (aujourd’hui Vanier), qui avait aussi porté le nom de chemin de la Montagne très longtemps auparavant, avant même que le village de Deschênes ne prenne de l’importance.
On prévoyait que le projet démarrerait avec la construction de 40 maisons par l’Office, puis que d’autres anciens combattants seraient attirés dans le quartier et viendraient y construire leur propre maison sur les lots achetés en vertu de la Loi. Le quartier finirait ainsi par devenir un projet modèle incarnant tous les objectifs de l’idée même des petites propriétés.
Les quarante premières maisons furent construites par l’entreprise Hill-Clark-Francis à prix coûtant plus rémunération. L’entente prévoyait que l’entrepreneur serait rétribué selon les frais encourus plus 10 %. Le prix de chaque maison fut estimé à $6,000 en moyenne, bien que le coût final fût un peu plus élevé.
Les anciens combattants achetèrent les maisons à l’Office à des prix allant de $6,000 à $8,000. Cependant, ces prix furent rajustés pour couvrir les dépassements de devis et le prix des réparations. Dans chaque cas, l’ancien combattant faisait un versement initial de $600.00 et remboursait son hypothèque sur 25 ans à un taux de 3½%. Il recevait au départ une subvention conditionnelle de $1,400 qu’il ne devait pas rembourser s’il demeurait dans sa maison pendant 10 ans; s’il quittait sa maison, par exemple, après 6 ans, cette somme de $1,400 lui était réclamée en plus du solde de son hypothèque.

Les frères McLaughIin furent chargés d’installer un système de pompage central pendant la construction des maisons. On localisa une des sources qui avaient fourni la fameuse eau de table des Clark et on creusa un puits de surface près de North Arm. L’eau était une des meilleures de Hull Sud quand on installa la station de pompage. C’était le seul quartier de Hull Sud à posséder sa propre station de pompage; les autres foyers de la municipalité avaient chacun leur puits. De même, les bornes-fontaines qu’on installa dans tout le quartier furent aussi les premières de notre municipalité rurale. Quelques années plus tard, la quantité d’eau que pouvait fournir ce système s’avéra insuffisante. L’Office fit alors, creuser un puits plus profond et chaque propriétaire dut payer son eau $2.65 par mois.

Les quarante premières maisons furent construites selon sept plans différents; elles étaient groupées par deux et chaque paire avait en commun une entrée de garage et un poteau électrique. Elles furent construites au sud de la rue Laurier, à une distance considérable les unes des autres; on espérait ainsi que les nouveaux arrivants viendraient occuper les espaces qui restaient. L’Office cherchait ainsi à encourager le mélange des anciens et des nouveaux résidents pour créer une communauté homogène, en évitant de regrouper les premières maisons.
Une note émanant du Commandant de brigade T.J. Rutherford, alors directeur de l’Office, révélait ce qu’on attendait de ceux qui allaient commencer à donner forme au quartier : « Il incombe aux résidents des lotissements d’anciens combattants de la Capitale et des alentours de représenter un modèle à l’intention des autres communautés et une source d’inspiration pour les milliers de visiteurs de passage dans la Capitale qui souhaitent voir de leurs yeux ce qu’ont réalise les anciens combattants. »

Ceux qu’on appelle aujourd’hui les quarante premiers sont les personnes dont les noms suivent :

ARMSTRONG, Arthur
ARMSTRONG, Donald
BOOKER, Walter
CALDWELL, Samuel
CAMPBELL, George
CLUFF, Cameron
CODERRE, George
CHADDERTON, Clifford
DORE, Raymond
DURPHY, RobertDEGAGNE, Roger
FORGET, Marc
EDEY, Elwood
GALE, Arnold
GRAHAM, Lawrence
GORDON, John
HYDE, Lloyd
HAYES, Harry
HINDS, John
HAW, CliffordKEALEY, Wilbert
KRANZUCH, Percy
LAVOIE, Donald
LLOYD, Kenneth
LUDINGTON, Cedric
LAROCQUE, Ernest
LAROCQUE, Roméo
LEFEBVRE, Marcel
LEGAULT, Jean
MacDONALD, JamesMCCONNELL, Thomas
OUIMET, Mme Jean
OGDEN, Norman
PEPPY, Ralph
PERCIVAL, Robert
RIVET, Marcel
ROUTLIFFE, Robert
STONE, Leslie
SABOURIN, Roméo
SIVYER, Eldon

Les premières années (1946-1952)

Beaucoup ont dû se sentir découragés à la vue de leur première maison. Vingt paires de maisons éparpillées « comme des poussins » dans un paysage morne que l’on a décrit comme « une mer de boue », « un terrain vague », « un désert sans arbres » et « un champ de boue retenait vos couvre-chaussures à chaque pas » (p. 12). Les maisons se trouvaient sur l’ancien pâturage des Clark. Les quelques arbres qui avaient poussé là avaient été détruits par les engins de construction et il ne restait plus que de vieux ormes devenus dangereux qui menaçaient les maisons situées tout près d’eux.

Les quarante premiers emménagèrent à la fin de l’automne 1946 et pendant l’hiver 1947. D’après les statistiques de l’Office, leur moyenne d’âge à l’époque était de 25 à 30 ans. La plupart d’entre eux étaient jeunes mariés et souhaitaient ardemment s’installer quelque part. Beaucoup d’entre eux n’avaient jamais été propriétaires et ignoraient tout de ce que cela impliquait, sans parler des secrets du jardin potager. Et quelques-uns avaient ramené de guerre des cicatrices aussi bien visibles qu’invisibles.
A cette époque, il était difficile de se procurer un réfrigérateur ou un poêle. Afin de venir en aide aux anciens combattants, l’Office en avait acheté quelques-uns, et les avait entreposés dans les vieilles étables Conroy pour les vendre aux résidents qui en avaient besoin. Bien que beaucoup de résidents aient eu des boîtes à glace pour lesquelles on se procurait de la glace chez M. Bastien d’Aylmer celles-ci étaient rares ce premier hiver.

Heureusement, l’Office avait réponse à tout. A ceux qui n’avaient pas de réfrigérateur, on fournit les instructions pour bricoler un réfrigérateur de fortune. On devait se procurer une caisse d’oranges, la placer debout dans le sous-sol et placer les aliments sur la petite étagère du milieu. On devait ensuite placer une grande cuvette pleine d’eau froide sur la caisse et envelopper le tout d’une serviette ou d’une pièce de coton à fromage imbibée d’eau; un bout de la serviette devait se trouver dans la cuvette. L’eau devait pénétrer dans le tissu et les aliments étaient gardés au frais sous l’effet de l’évaporation.

Au cours de l’hiver, il s’avéra que beaucoup de maisons étaient devenues elles-mêmes de grands réfrigérateurs. Elles étaient chauffées au charbon; le combustible était livré par des voitures à cheval fournies par l’Office. A la fin de février, certaines familles avaient consommé 5 tonnes de charbon et même avec la fournaise à plein régime, on ne pouvait pas dépasser 60 degrés Fahrenheit, ce qui était dû en grande partie au manque d’isolation, à l’absence de contre-fenêtres et à la présence d’orifices non calfeutrés.
Seulement une ou deux familles avaient le téléphone cet hiver-là, parce que les lignes n’avaient pas encore été posées dans le quartier. Comme il y avait peu d’automobiles, on ne pouvait sortir du quartier qu’en empruntant l’autobus de la Gatineau Bus Line sur le chemin d’en haut ou le tramway du Hull Electric Street Car sur le chemin d’en bas. Quand le Hull Electric Railway avait été mis en place en 1896, de grands ateliers pour l’entretien des voitures avaient été construits au sud-est de ce qui est aujourd’hui l’angle des chemins d’en bas et Vanier; on peut encore les voir de nos jours.

Ce furent peut-être les femmes qui souffrirent le plus. Elles habitaient des maisons éloignées les unes des autres et se sentaient souvent isolées. Sans téléphone, on ne pouvait pas se parler souvent et pour prendre l’autobus ou le tramway, il fallait se rendre à pied au chemin d’en haut ou d’en bas, ce qui n’était guère facile si l’on était accompagnée de jeunes enfants. Les femmes se trouvaient au milieu d’un paysage sans arbres qui accentuait encore leur sentiment d’isolement. L’une d’entre elles se souvient, un soir, d’avoir regardé passer avec envie un autobus de la Gatineau Bus tout illuminé; tous les passagers étaient de sortie et semblaient appartenir à un monde tout à fait étranger.
Le magasin général le plus proche se trouvait à Deschênes. Il était possible de magasiner, mais guère facile. Heureusement, à cette époque, on livrait à domicile les aliments essentiels tels que le pain et le lait. Beaucoup de femmes du quartier se souviennent de M. Devine, livreur de Standard Bread dont la personnalité colorée ajoutait toujours un peu de piquant dans la journée de chacun. M. Dompierre de Hull livra l’épicerie pendant quelque temps ainsi que M. Poirier de Deschênes.
S’ajoutant aux difficultés de l’hiver, il y eut en mars une tempête de neige telle que tout déneigement était devenu impossible. Il commença à neiger le dimanche et le lendemain on ne voyait plus la rue. Les mères de jeunes enfants qui comptaient habituellement sur la livraison du pain et du lait se trouvèrent prises au dépourvu. M. Benoit, ancien parachutiste de l’armée et propriétaire d’un petit dépanneur de Deschênes demanda à Ottawa qu’on prenne des mesures d’urgence. Des provisions furent envoyées par le train du soir qui fit un arrêt spécial à Deschênes; de là, on les plaça sur des traîneaux et des résidents chaussés de skis les emmenèrent à destination.

En janvier de ce premier hiver, on avait découvert les principaux défauts de construction des maisons et beaucoup se demandaient tout haut s’ils n’avaient pas payé trop cher des maisons si mal construites. Des fissures se formaient dans les murs, les plafonds coulaient, les planchers se déformaient par endroits, les portes et les fenêtres laissaient passer les courants d’air et l’eau affleurait dans certains sous-sols. On décida donc de mettre sur pied une association des propriétaires qui s’occuperait de faire réparer les défauts de construction.
L’Office de l’établissement agricole des anciens combattants appuyait la création d’associations de propriétaires; dans un cours de formation agricole donné à Ottawa, on posait la question suivante :

« Comment faut-il situer une association de propriétaires forte, active et intéressée ? Elle éliminera la plupart des petites plaintes individuelles, permettant du même coup de réduire le nombre de vos problèmes tout en simplifiant de beaucoup les aspects administratifs. Les anciens combattants apprendront à se fier à l’association qui les représentera, ainsi que leurs voisins, auprès de l’Office, du conseil scolaire, du conseil de ville, etc. Comme chacun identifiera ses propres intérêts à ceux de ses voisins, il deviendra un bon citoyen pour la communauté, ce qui est sans doute l’objectif ultime de la réinsertion »
La première réunion des résidents eut lieu le 16 janvier 1947, bientôt suivie par une autre réunion le 6 février où les résidents décidèrent de se munir d’une charte sous le nom de Lakeview Terrace Ratepayers’ Association (Association des contribuables de Lakeview Terrace). Il en coûtait 50 cents par personne pour adhérer; tous les membres pouvaient assister aux réunions mais chaque foyer n’avait qu’une voix lors des votes.
C’est à la réunion du 6 février que les résidents choisirent le nom de Lakeview Terrace ainsi que les divers noms de rue. Tom McConnell et Bob Percival copièrent et mirent en place des panneaux pour venir en aide aux livreurs.

La réunion fut résumée dans le Ottawa Citizen du 7 février 1947 : « On a parlé entre autres des défauts de construction et des matériaux utilisés pour construire les maisons des anciens combattants. On a exposé à la réunion les difficultés éprouvées par d’anciens militaires dans les projets d’anciens combattants dans d’autres régions du Canada; les membres de l’exécutif ont révélé qu’ils avaient été en contact avec J.W. Murphy, député, qui a demandé lundi qu’une commission royale fasse une enquête dans les projets de petites propriétés destinées aux anciens combattants. »

Les autres sujets abordés à la réunion devaient devenir les principaux sujets d’activité de l’association des contribuables pendant les années à venir : aménagement paysager et horticulture, drainage, pompe à eau, taxes, ramassage des ordures, livraison du courrier, protection contre l’incendie, réseau de transport en commun approprié et amélioration des écoles.
On décida aussi de faire connaître le projet afin d’attirer d’autres anciens combattants sur les 200 lots qui restaient. Le Citizen cita la déclaration d’un résident : « La plupart d’entre nous sommes d’Ottawa et il nous semble que si notre projet était plus connu, il intéresserait beaucoup d’autres anciens combattants d’Ottawa. »
Cliff Chadderton (p. 14), élu premier président de l’Association des contribuables, entreprit de dresser une liste détaillée des défauts de construction et de préparer une inspection des maisons. Des réparations furent effectuées et tous en furent satisfaits.

L’éclairage des quelques maisons du quartier ne parvenait pas à dissiper la pénombre où le quartier se trouvait plongé pendant la nuit. Elwood Edey et Jim MacDonald furent les premiers à partager le coût d’un lampadaire à l’angle des rues Crescent et Lakeview. L’ampoule de 100 watts, montée sur un poteau, était commandée par un interrupteur placé dans une boîte de bois et les deux hommes se relayaient pour l’allumer et l’éteindre, par périodes de trois mois. Ils tiraient à la courte paille le nom de celui qui aurait ce plaisir pendant l’hiver. En février 1949, l’Association des contribuables fit parvenir une pétition au Conseil de ville de Hull Sud pour qu’on permette à la Gatineau Power Company d’installer 10 lampadaires dans Lakeview Terrace; leur coût devait être assumé par tous les propriétaires à l’exception de l’Office.

Le premier responsable régional, E.J. Tapp, était en quelque sorte le pivot de la communauté. Ancien combattant de la première guerre mondiale, M. Tapp était entièrement responsable du projet Lakeview Terrace, de deux autres projets sur les avenues Woodroffe et Fisher à Ottawa et d’un certain nombre de fermes occupées par des anciens combattants dans la région.
On considérait M. Tapp comme celui qui avait donné une âme à Lakeview Terrace. On disait de lui qu’il était un homme « incroyable », « un être merveilleux qui portait un tel intérêt à votre potager qu’il venait vous donner un coup de main ». Ou bien encore : « pour nous, il aurait réussi n’importe quelle acrobatie; un homme extraordinaire », « il était tellement attachant, comme une mère poule qui s’occupe de ses poussins », « il aimait par-dessus tout les anciens combattants et son travail ».
On lui connaissait une patience sans bornes et il avait appris à baisser le niveau de son appareil auditif pendant les réunions de contribuables les plus orageuses, puis il souriait et hochait la tête d’un air entendu pendant que les anciens combattants se plaignaient très fort des défauts de leurs maisons. Ce fut M. Tapp qui encouragea les résidents à aménager leurs terrains et à planter des arbres le long des rues, devant les maisons.

En 1949, par l’entremise de la Municipalité de Hull Sud, on put obtenir gratuitement plus de 400 érables du ministère des Terres et Forêts du Québec à Berthierville. Ray Doré alla chercher les arbres dans un camion de l’Office et chaque résident en planta quelques-uns pour embellir le quartier; c’est en grande partie à eux que l’on doit d’avoir aujourd’hui dans le quartier une végétation aussi luxuriante.

L’horticulture et la mise en valeur des terres faisait partie du concept même des petites propriétés, à tel point qu’en 1948, l’Office organisa un concours pour stimuler les anciens combattants à aménager leurs terrains et pour encourager les sociétés d’horticulture et les experts gouvernementaux à fournir des renseignements et des conseils (p. 14).
Les 17,761 petits propriétaires de tout le pays établis avant mai 1948 furent inscrits au concours dont les résultats allaient être connus en mai 1949. On attribuait des points supplémentaires pour l’aspect utilitaire et permanent des plantations et pour la planification et l’entretien du jardin (p. 14). Dans un article du «Légionnaire» de 1948, on pouvait lire : « A titre d’exemple, un ancien combattant qui cultive des légumes pour les vendre et se spécialise dans un ou deux produits adaptés au sol et au marché local recevra plus de points qu’un autre concurrent dont les produits sont plus diversifiés et qui tente de vendre un petit surplus de chacun de ceux-ci. »

50 % des points étaient accordés pour la mise en valeur agricole, 30% pour l’aménagement et 20% pour l’entretien de la maison et des bâtiments. Pendant les premières années, Arnold Gale et Elwood Edey se classèrent à tour de rôle en tête du concours national, alors que d’autres candidats tels que Ray Doré et Cedric Ludington se signalèrent régulièrement par leurs excellents résultats. Les prix étaient décernés par Ralph Hayter, surintendant des propriétés de la Résidence du Gouverneur général, sous la forme d’une somme d’argent qui devait être entièrement consacrée à l’achat d’arbustes ou de plantes pour la propriété. Grâce aux encouragements de M. Tapp, et aussi à l’esprit compétitif des résidents de Lakeview Terrace, on obtint de très honorables résultats.

Une des conséquences directes du concours national de l’Office fut la mise en place de l’exposition horticole de Lakeview Terrace. La première « exposition horticole — journée sportive » eut lieu les 19 et 20 août 1950. L’Office qui encourageait fortement les associations d’horticulteurs, fournit deux tentes-marquises, 10 tables pliantes et 20 bancs pliants. Bien entendu, ceux qui avaient eu de bons résultats lors du concours national firent aussi bonne figure au niveau local.
Les deux premières expositions horticoles eurent lieu sur l’emplacement de la toute première patinoire du quartier, un terrain situé du côté nord de Crescent, au coin de Maple. La première année, on exposa des fruits et des légumes qui furent jugés par la Société d’horticulture d’Ottawa et déclarés d’excellente qualité. De l’avis général, l’exposition était promise à un grand avenir, même selon cet exposant qui étalait six œufs dans un panier portant la mention « fruits de poule ». Les gagnants furent déclarés « Roi des fleurs » et « Roi du potager », et reçurent chacun des bulbes et des plants qu’ils devaient placer dans leur jardin en vue du prochain concours. La seconde année, on exposa des aliments cuits au four et des travaux de couture. A partir de la construction de l’école South Hull, c’est là qu’eurent lieu les expositions horticoles.

La « Journée sportive » venait ajouter au programme une atmosphère de détente. Tout le quartier se retrouvait au pique-nique, aux courses, aux parties de base-ball et au concours de la bicyclette la mieux décorée, réservé aux enfants. Après la formation de la Société d’horticulture, les deux événements eurent lieu séparément, à la grande déception de ceux qui appréciaient l’atmosphère de grande fête de l’ancienne formule.

Un autre lien entre les gens du quartier fut le journal « Community Life », d’abord publié par George Heaton et Eldon Sivyer d’octobre 1950 à décembre 1952. On cherchait à en faire « l’instrument indépendant par lequel les résidents de Lakeview Terrace seraient informés tous les mois des nouvelles du quartier. En plus d’offrir un service à l’Association des contribuables en faisant paraître toute information que le Comité souhaitait faire connaître, les pages du journal étaient à la disposition des résidents qui avaient quelque chose à dire concernant le quartier, que ce soit une critique, une remarque sérieuse ou humoristique.
Dans le numéro de janvier 1951, on pouvait lire l’ordre du jour de la réunion annuelle de l’Association des contribuables, la liste des membres du comité organisateur de la prochaine exposition horticole et un article de Ray Doré encourageant les résidents à se joindre à la Société horticole d’Ottawa. Jean Ouimet rédigeait la Page française et, à la Page des femmes, Marie Sivyer et Dora Gale donnaient des recettes et des conseils de couture. Marion Heaton et John Gordon écrivaient des vers dans le Coin des poètes et Tom McConnell exposait les dernières réalisations de la construction de l’école protestante.

Depuis 1948, on s’efforçait d’obtenir une nouvelle école protestante. Consternés par le peu de possibilités offertes par les écoles n’ayant qu’une seule salle de classe et réparties sur tout le territoire de la municipalité, les résidents protestants ayant de jeunes enfants envoyèrent une pétition au conseil scolaire de South Hull, demandant que l’on construisit une nouvelle école pouvant desservir Lakeview Terrace et les alentours (p. 15). L’éducation était probablement le domaine où ressortaient le plus les divergences de vue entre les « Lakeviewers » et les vieilles familles de Hull Sud.

L’Office avait déjà pensé qu’il y aurait des conflits entre les lotissements d’anciens combattants et les régions avoisinantes. Dans le cadre de son cours de formation en mise en valeur agricole, l’Office formulait cet avertissement : « …de nombreux lotissements d’anciens combattants deviennent des communautés quasi-autonomes
au sein même d’une municipalité, ce qui provoque des complications pour le gouvernement municipal, les anciens résidents et les anciens combattants
eux-mêmes… ». Les divergences ressortaient dans cet extrait d’une lettre adressée en 1949 à l’inspecteur des écoles protestantes par J.H. Gordon, président de l’Association des contribuables :

« Toutes nos difficultés viennent du fait que nous sommes essentiellement un groupe de gens de ville isolé dans un secteur rural. Nos aspirations, nos espoirs et nos projets d’avenir pour nos enfants sont aux antipodes de ceux de la majorité des résidents de Hull Sud. Nous sommes convaincus qu’il faut modifier et améliorer les installations scolaires existantes alors que nos voisins considèrent toute proposition à cet effet comme peu réaliste, ou farfelue, puisque leurs pères et leurs grands-pères ont reçu une éducation convenable dans les mêmes écoles pourvues de la même infrastructure. Toute idée de changement inspire à nos voisins les plus grandes appréhensions et ils s’y opposent de façon bornée et têtue, surtout si ce changement risque d’amener la moindre augmentation du taux de taxes actuel. Contre de tels moulins à vent, il ne nous appartient pas de jouer les Don Quichotte. »

Le Conseil scolaire de South Hull qu’on accusait ainsi regroupait les membres des anciennes familles de pionniers. Comme beaucoup de paysans dont les revenus dépendaient des caprices du hasard et des intempéries, ils avaient pris au cours des générations des habitudes pratiques et dénuées de toute frivolité. Il était donc tout naturel que les deux groupes fussent en désaccord au sujet de l’amélioration de l’infrastructure scolaire.

Une pétition des résidents protestants fut donc envoyée au Surintendant de l’Éducation à Québec, demandant l’autorisation de se joindre à la municipalité scolaire de la ville d’Aylmer. « …où les origines urbaines permettent un climat plus compréhensif et sympathique. » que chez les « économes » de Hull Sud.
L’Office vendit les lots 47 et 48 au conseil scolaire protestant de Hull Sud pour la somme de $400 à la condition que la commission scolaire installe un compteur d’eau dans l’école et qu’elle paie son eau. L’école élémentaire de South Hull fut construite avec quatre classes et son ouverture eut lieu le 13 avril 1951.

Quelques années plus tard dans « Community Life », Tom McConnell, représentant Lakeview Terrace au conseil scolaire protestant, félicitait le conseil et ses membres sortants :
« Il me semble que les contribuables protestants de Hull Sud doivent beaucoup à chacun des commissaires sortants. Souvenons-nous qu’en plus de la gestion ordinaire de l’école, on a construit une école de quatre classes, puis quatre autres classes ont été rajoutées! Nous imaginons sans peine la situation d’un conseil de cinq hommes inexpérimentés ayant sur les bras un projet de construction de près de 120,000.00$. Avouons que l’entreprise était de taille et que ces hommes méritent des éloges. »

Au conseil scolaire catholique de Rapide-des-Chênes aussi, le nombre d’enfants allait croissant. En 1952, les étables Conroy furent démolies en vue de la construction de la nouvelle école Notre-Dame, à l’extrémité sud de Lakeview Terrace, sur une terre qui avait été achetée à l’Office. La nouvelle école ouvrit ses portes en janvier 1953. Plus tard, on construisit deux autres écoles tout près de là : St-Médard en 1958 et St-Georges en 1960. Jean Ouimet, un des quarante premiers, fut secrétaire-trésorier du conseil de 1952 à 1956.
Comme dans beaucoup de communautés d’après-guerre, la vie sociale de Lakeview Terrace était en grande partie centrée sur le foyer familial. Pendant la journée, les femmes s’occupaient des enfants, du jardin et du ménage mais elles se retrouvaient pour le café et pour laisser leurs enfants jouer ensemble. L’essentiel de la vie sociale se passait en soirées chez l’un ou chez l’autre et les enfants participaient aussi avec enthousiasme. (p. 15).

Les nombreux sujets de préoccupation concernant le quartier donnaient aux résidents, et particulièrement aux hommes, l’occasion de se serrer les coudes pour passer à l’action. Les liens sociaux se resserraient à travers le travail d’équipe. La communauté ne pouvait être mise sur pied par des individus isolés, ni en quelques heures de travail par semaine :
« Les anciens combattants étaient surtout impatients. Ils étaient revenus de la guerre et il leur tardait de posséder un endroit à mettre en valeur. Nous étions tous du même âge et nous accordions une grande place à nos enfants. Nous étions tous prêts à nous consacrer à eux », « on se fiait les uns aux autres. En ce temps-là, les gens savaient se serrer les coudes », « pour survivre, nous avions appris à travailler dur, ensemble. Dans nul autre quartier on n’aurait pu trouver une telle solidarité », « on avait des gens doués de talents d’organisateurs, très capables. Chacun apportait sa contribution », « il y avait tellement d’activité en ce temps-là, tout le monde était formidable », « c’était comme une grande famille; on entrait chez son voisin sans même penser à sonner », « oh, nous étions tous solidaires, on n’était pas très riche, les femmes ne travaillaient pas et comme les gardiennes étaient rares, on laissait ses enfants chez le voisin, ou on gardait les siens. Tous les parents gardaient tous les enfants. »

Les résidents organisaient aussi des activités sociales. Dans son rapport annuel de 1952, Eldon Sivyer, président de l’Association des contribuables, énumérait les principales activités auxquelles s’adonnaient les résidents avant l’avènement de la télévision :

« Le 25 mars, une soirée a eu lieu à l’auditorium de l’école protestante; on a pu voir les films suivants : ‘The City’, ‘Finale de la Coupe Grey, 1951’ et un film en technicolor, ‘God in Creation’. Des boissons ont été servies par les dames de Lakeview Terrace et un prix a été tiré au sort.
Le 17 avril 1952, une soirée a eu lieu à l’auditorium de l’école protestante où M. A.C. Norcross a fait un exposé intitulé ‘Votre petite propriété; comment en tirer le maximum’. Puis on a projeté ces films et les dames ont encore distribué des sandwichs, des gâteaux et du café; un prix a été tiré au sort.
Le 24 mai, des pétards de bonne qualité, d’une valeur de 50 dollars ont été allumés pour marquer l’anniversaire de la Reine.
Le 10 juin, environ 40 membres de l’Association ont pris part à une visite guidée de la brasserie Bradings. On a beaucoup apprécié de pouvoir voir de plus près la fabrication d’un produit local; la visite a été suivie d’un repas qui, il va sans dire, fut copieusement arrosé. »

Le rapport résumait aussi les questions pratiques dont on s’était occupé à l’Association des contribuables :
« Les panneaux de noms de rues qui avalent été copiés et mis en place par Tom McConnell et Bob Percival à leurs propres frais en 1947 devaient être démontés, réparés, repeints et remis en place.

M. A.C. Norcross, consultant de l’Office en matière d’aménagement et mise en valeur des terrains, s’est mis à notre disposition pour prodiguer des conseils et fournir des plans d’aménagement paysager à ceux qui en faisaient la demande. Il s’est aussi déclaré prêt à aider à la mise sur pied d’un programme de plantation d’arbres. »
Le chemin Deschênes qui traversait le quartier était devenu dangereux, de même que la rue Lakeview, un cul-de-sac que de nombreux automobilistes prenaient pour essayer de se rendre à Deschênes.

L’Association des contribuables demanda au Conseil de ville de Hull Sud :

1. qu’on enlève les mauvaises herbes et les dangereux ormes qui bordaient le chemin Deschênes,
2. qu’on limite la vitesse permise sur ce que l’on appelait « la piste de course ».
3. qu’on place une pancarte « cul-de-sac » au coin Lakeview et du chemin d’en haut,
4. Qu’on procède à un épandage d’huile sur toutes les rues de terre du quartier pour éviter la poussière.

On demanda à la Commission du District fédéral, puis à l’Office de procéder à des épandages d’insecticide pour lutter contre les moustiques. On demanda à l’Office de faire arroser les mauvaises herbes des lots vacants et au Conseil de ville de brûler le foin se trouvant sur ces lots, afin de prévenir les incendies.
On fit une enquête pour savoir si on pourrait obtenir des tarifs d’assurance-incendie plus avantageux pour le quartier.

Dans toutes les régions rurales, la protection contre le feu était une des grandes préoccupations. En 1952, les contribuables de Lakeview Terrace s’accordèrent pour payer chacun $6.00 pour l’achat de matériel de lutte contre l’incendie, qui serait remisé à la station-service des frères Labonté, sur le chemin Garden. Les frères Labonté voulurent bien agir comme pompiers à raison de $5.00 par appel. Pour trouver le reste des fonds, on vendit du foin sur les lots vacants et on organisa la « Nuit du Millionnaire » à l’école South Hull.
Plus tard la même année, la brigade de pompiers volontaires de Lakeview Terrace fut formée. Les bornes-fontaines furent inspectées ainsi que les tuyaux et les résidents reçurent des directives sur la conduite à tenir en cas d’incendie. Pendant les années qui suivirent, des incendies dans deux maisons et à l’école South Hull furent maîtrisés avec succès et les dégâts furent très limités.

La brigade de pompiers resta en place jusqu’à ce que Hull Sud commença à fournir à Deschênes un service de pompiers en échange de services de police. En 1956, Deschênes possédait une pompe et un camion, sans tuyaux. Cependant, Aylmer avait un adapteur qui permettait d’utiliser ce matériel en cas d’urgence. Avant d’accepter d’envoyer son matériel à Lakeview Terrace, Aylmer s’assura d’abord que les frais seraient à la charge de l’appelant.
En 1956, le matériel fut transféré de la station Shell des frères Labonté à la nouvelle cabane du terrain de jeux, qui se trouvait à son emplacement actuel depuis 1955. Le chef des pompiers, Ossie Miles, assura aux résidents que même si beaucoup d’hommes se trouvaient au travail les jours de semaine, Ray et Tipp Labonté continueraient de servir de pompiers et qu’ils viendraient au pas de course en cas d’alerte.

En 1952, seulement 34 nouvelles habitations étaient venues s’ajouter aux quarante premières; leurs propriétaires avaient entendu parler du projet par des parents ou amis qui habitaient déjà sur place. Le quartier se peuplait beaucoup moins vite qu’on ne l’avait cru au début et 150 lots étaient encore inoccupés. Les résidents reprochaient au quartier son aspect désertique avec tous ses terrains vides et laissés à l’abandon. Il semblait à certains que les familles d’anciens combattants ne suffiraient jamais à occuper tous les lots. Ils étaient d’avis que les conditions d’admission devaient être élargies, qu’on devait peut-être accepter des civils ou des anciens combattants qui n’avaient pas encore quitté les Forces armées. On s’accordait pour penser que toute augmentation de taille du quartier aurait pour effet de rehausser la valeur des propriétés, permettre d’améliorer l’infrastructure sociale et celle des loisirs, et qu’on aurait de meilleurs services de la part des différents corps de métier.

En 1952, 72 contribuables adressèrent à l’Office une pétition demandant que le projet soit ouvert aux civils pour en accélérer la mise en valeur. Eldon Sivyer, qui connaissait un groupe de civils et d’anciens combattants qui espérait construire des maisons en coopérative, fit visiter Lakeview Terrace à des représentants de la coopérative et leur exposa les avantages qu’il y aurait à construire ici.

Les coopératives Marrocco et Marrick – 1952-1956

Après la guerre, ce fut le manque de maisons de prix abordable qui donna le coup d’envoi du mouvement des coopératives de logement. Le père F.A. Marrocco, devenu plus tard évêque, avait ramené cette idée de Nouvelle-Écosse en Ontario alors qu’il était devenu directeur de l’Institut d’Action sociale du Collège St-Patrick d’Ottawa.
Pour former la coopérative, les membres achetèrent des parts du groupe et durent verser 600.00$ d’acompte pour couvrir l’achat de leur terrain et d’autres coûts initiaux. Dès le début des travaux, le groupe put bénéficier d’une hypothèque de la SCHL à un taux réduit, sur trente ans. Certains membres qui n’avaient pas encore bénéficié des autres avantages accordés aux anciens combattants trouvèrent d’autres hypothèques auprès de l’Office après les travaux.

Quand le Collège St-Patrick annonça son premier cours de construction en coopérative en 1952, 100 jeunes gens et leurs familles se déclarèrent intéressés. Sous la responsabilité du professeur Gerry Clarke, ils se retrouvaient une fois par semaine pour étudier les principes de gestion coopérative. Ils s’initièrent à la comptabilité analytique et à la sous-traitance, Ils apprirent à évaluer les matériaux et les divers besoins relatifs aux habitations suivant leur taille et leur modèle, et aussi à décider quelle partie des travaux on pouvait exécuter soi-même ou confier à des professionnels.

Au bout du compte, en 1953, il ne resta que 34 familles pour engager un contremaître et se lancer dans la construction de maisons de cinq différents modèles, à Lakeview Terrace. L’Office, qui leur vendit les lots, exigea que les maisons soient construites sur les lots répartis parmi ceux qui étaient déjà occupés, au sud de la rue Laurier; ainsi, on encourageait un certain sens de solidarité de quartier qui avait été un des principaux objectifs de l’Office dans les lotissements d’anciens combattants.
Chaque membre de la coopérative devait consacrer 1,250 heures de travail pendant une année : tout membre qui ne pouvait pas remplir cette exigence devait payer $1.00 par heure manquante et tout membre qui dépassait ce chiffre recevait $1.00 par heure supplémentaire. On s’assurait ainsi que l’apport de chaque personne au projet soit approximativement le même.
Pour beaucoup de membres, ce travail était dur et nouveau. Chacun assumait la responsabilité d’une partie du travail, que ce soit la maçonnerie, l’installation électrique, la couverture, etc., et on travaillait en même temps sur toutes les maisons (p. 16). Pendant les travaux, personne ne savait quelle maison allait être la sienne. On garantissait ainsi la qualité de la main d’œuvre pour chaque habitation. Sur le terrain des Creighton, sur Vanier, se trouvait une cabane qui servait de quartier-général et de remise pour le matériel. A l’occasion, les hommes se retrouvaient à l’Hôtel Deschênes qu’on appelait affectueusement « Town and Country ».

Quand fut venu le moment de l’attribution des maisons, on écrivit le nom de chaque membre sur une balle de ping-pong et chaque couple fut invité à choisir à tour de rôle le modèle de maison et l’endroit qu’il préférait.
L’année 1956 fut exceptionnelle pour le quartier. La coopérative Marrick, dont le nom était la combinaison de « Marrocco » et « St-Patrick », vint s’établir au nord de Laurier cet été-là. Pour mener à bien les travaux, le groupe de 20 familles engagea un maître-charpentier et deux autres charpentiers que les hommes allaient aider à tour de rôle pendant leurs congés, les soirs ou la fin de semaine. Il n’y avait qu’un seul modèle, mais on pouvait choisir le revêtement extérieur. On construisait cinq maisons à la fois mais, conformément à un principe de construction en coopérative. Personne ne pouvait emménager avant la fin des travaux. En juin 1956, les noms furent tirés au sort et chacun à son tour choisit son lot. Le groupe Marrick avait décidé de regrouper ses maisons pour réduire le coût des voyages de l’une à l’autre pendant les travaux et pour faciliter la coordination.
Alors que les hypothèques de la coopérative Marrocco venaient en majorité de la SCHL, la coopérative Marrick prit des hypothèques de 30 ans en deux parties, à partir du premier programme de l’Office qui datait des années 1950.

Les années 1956-1975

En septembre 1956, Eldon Sivyer reprit la publication de « Community Life », pour le plus grand bien du quartier. Ce renouveau fut salué par Kirk Ludington qui écrivait dans une note à l’éditeur :

« Mais oui, il est facile de perdre le contact. Merci à vous et à ceux qui travaillent au journal — nous voici enfin revenus à la lumière.
« Community Life » fit beaucoup pour informer les résidents des activités et des décisions du conseil de l’Association des contribuables, mais son principal rôle fut sans doute celui d’encourager la vie communautaire. Le journal soulignait les travaux qu’il fallait faire et encourageait le lecteur à « faire sa part », ou à « venir donner un coup de main », ou bien à « être prêt à agir sans qu’on le lui demande ». On disait aux résidents que les réalisations futures ne tenaient qu’à leur imagination, leurs capacités et leur énergie.
La campagne pour l’installation d’une nouvelle patinoire laissa sa marque dans l’histoire de Lakeview Terrace (p. 17). En 1956, beaucoup d’enfants du quartier étaient d’un âge qui leur permettait de participer à des activités sportives. L’ancienne patinoire du terrain de jeux, bordée de bancs de neige, ne suffisait plus aux grands et pendant les parties de hockey la rondelle disparaissait régulièrement dans la neige. Une des anciennes cabanes de chantier achetée à l’Office pour servir de vestiaire, laissait passer les courants d’air et ne pouvait plus servir à grand-chose pendant l’hiver.

On commença par remplacer la vieille cabane par une autre qui devait aussi servir de remise pour le matériel des pompiers. Le bâtiment, construit en parpaings, fut termine en février 1963; il y avait deux vestiaires, un pour les filles et un pour les garçons, et il était chauffé par une fournaise au mazout (p.18). Il comportait de nombreux bancs, un bon plancher, et les murs et le plafond étaient isolés et finis; tous s’accordèrent pour trouver que c’était une très nette amélioration. La patinoire allait être double, ainsi on allait pouvoir pratiquer le patinage de fantaisie sur le pourtour pendant que les parties de hockey se dérouleraient sur la partie centrale. Elle serait bordée de planches au lieu de bancs de neige et elle serait éclairée.
La construction de la patinoire fut un projet colossal. On voulait une patinoire de dimensions réglementaires, la meilleure de la région, une patinoire « comme on s’attend à en trouver dans une communauté d’environ 200 foyers ». « Bien sûr, une bonne patinoire coûte cher » pouvait-on lire dans le numéro de septembre de « Community Life », qui venait de renaître; c’était là le premier d’une série d’articles sur les derniers événements touchant la patinoire.

Le coût de la nouvelle patinoire fut évalué à $1,200.00, et passa à $700 quand le Conseil de ville de Hull Sud fit un don de $500.00. Le Comité des loisirs décida de ne pas faire de porte à porte pour trouver l’argent. Il pensait que les résidents devaient consacrer du temps et de l’énergie pour exécuter une grande partie des travaux et pour récolter des fonds par d’autres moyens. La devise était : « Ne nous arrêtons pas avant d’avoir touché au but ».
Dans « Community Life », on pouvait lire les titres « on a besoin d’argent », puis plus tard dans la campagne, « les dollars affluent ». Aux « Nuit du Millionnaire », « Nuit des Monstres », aux ventes, au Club des présidents du mois, aux ventes d’articles pour enfants, aux ventes de livres s’ajoutaient les recettes de la « Soirée des amateurs » et des soirées dansantes. On envoya des dizaines de lettres aux commerçants d’Ottawa et de la région qui desservaient Lakeview Terrace pour solliciter soit des fonds pour la patinoire, soit des dons de prix pour la campagne de financement. Presque tous les résidents, hommes, femmes, enfants, contribuèrent à leur façon. L’expérience de la vie militaire faisait qu’on savait s’organiser de façon productive et déléguer de façon efficace.

Pendant que les uns s’occupaient de trouver les fonds, les autres entreprirent la construction de la nouvelle patinoire. Les noms étaient répartis dans des équipes commandées chacune par un chef et qui se voyait attribuer une tâche, comme le dégagement de la conduite d’eau, l’installation de la plomberie, la préparation et la mise en place des planches ou la mise en eau de la patinoire.
Après l’ouverture de la patinoire le 23 février 1957, elle resta le centre de la vie hivernale du quartier pendant de nombreuses années, et de nombreux résidents lui doivent leurs meilleurs souvenirs (p. 18). C’était le lieu de rassemblement qui maintenait l’esprit de solidarité du quartier. Les hommes se relayaient pour arroser et entretenir la glace et les femmes tenaient une cantine dans la cabane où l’on vendait du chocolat chaud et des casse-croûte.
Lors de l’hiver 1959, Lakeview Terrace comptait 115 garçons de 6 à 18 ans dans la ligue de hockey (p. 19); 30% d’entre eux venaient de secteurs tels que le chemin de la
« Brickyard », le chemin de la Montagne et Baie Simard; Lakeview Terrace devenait une sorte de rendez-vous des sportifs de la région extérieure d’Aylmer. On s’intéressait beaucoup à la soirée du hockey et à la remise des trophées, qui se tenait parfois en présence de vedettes telles que Maurice Richard, « Rocket », ou Larry Regan (p. 19).
Du côté des adultes, on créa une ligue de ballon-balai masculine et une autre ligue pour les femmes (les Diables rouges et les Anges blancs (p. 20). Mais l’événement le plus couru restait le Carnaval d’hiver, qui nécessitait beaucoup de planification et d’énergie. Sous la responsabilité du Comité des loisirs, on procédait à la recherche de fonds, on sollicitait des prix chez les hommes d’affaires de la région et on prévoyait diverses activités. Parmi les jeunes femmes du quartier, on choisissait une Reine du Carnaval qui était couronnée lors d’une cérémonie (p. 21). La patinoire était le lieu de la plupart des activités sportives du Carnaval telles que les courses de patins, les parties de hockey amicales, les tournois de ballon-balai et des promenades en traîneau pour tous.

Les activités hivernales connaissaient un tel succès que quelques années plus tard le Comité des loisirs pensa même à faire installer une surface de glace artificielle ainsi qu’une patinoire de curling. Les frères Labonté, toujours présents, dégageaient la grosse neige de la patinoire et firent un don en vue de l’achat de gilets de hockey.
Encouragé par le succès de la patinoire, le comité des loisirs ajouta un terrain de baseball à l’école South Hull et un court de tennis et du matériel sur le terrain de jeu qui reste aujourd’hui le rendez-vous des gens de tous les âges.

L’amalgamation 1975-1986

L’amalgamation d’Aylmer, Hull Sud et Deschênes en 1975 eut pour résultat de centraliser beaucoup d’activités qui existaient dans les quartiers. C’est la ville d’Aylmer qui se chargea des activités récréatives et d’organiser le hockey mineur. Pendant ce temps, beaucoup de ceux de la deuxième génération à qui on avait destiné les installations sportives avaient grandi et avaient quitté le quartier. Beaucoup «d’anciens » avaient aussi déménagé et leurs maisons étaient occupées par des gens qui n’étaient même pas nés lors de la guerre. Les anciens qui restaient pensaient qu’ils avaient fait leur part et avaient mérité un peu de calme. L’Association des contribuables prit du recul et le quartier devint plus tranquille avec les années.
Au début des années 80, la ville d’Aylmer déclara que l’eau de source qui alimentait Lakeview Terrace depuis si longtemps était contaminée et dit aux résidents qu’ils devraient abandonner leur vieux système pour se raccorder au réseau de la ville. A ces mots, le vieil esprit du quartier se réveilla et l’Association reprit vie pour s’opposer à ces changements. Cette fois-là, les anciens n’étaient plus seuls. A leurs côtés se trouvaient les enfants des premiers arrivants. Quelques-uns de ceux-là n’avaient jamais quitté le quartier, mais beaucoup d’entre eux étaient partis et y étaient revenus, attirés par le souvenir des valeurs de l’ancien temps, le sens de l’engagement et l’esprit de collaboration du temps de leur jeunesse.

Aujourd’hui, l’Association des contribuables a une nouvelle constitution, mais comme autrefois, elle s’est remise à la tâche pour préserver et améliorer la qualité de la vie du quartier. Les programmes Surveillance de quartier et Parents-secours ont pris la relève de l’esprit de coopérative et tout le monde reçoit le bulletin d’information. Le Comité de surveillance garde l’œil sur les changements de zonage et le Comité des loisirs organise des sorties, rencontres sportives et autres événements. Comme il y a 40 ans, on tient compte aussi des jeunes enfants.
Pendant ces 40 ans, beaucoup de changements sont survenus. Les taxes sont plus élevées, il y a beaucoup plus d’arbres et la population est plus variée en termes d’âge et d’expérience. Mais les vieilles ressemblances existent encore et les nouveaux résidents ont été attirés par les arbres, les grands terrains aménagés et l’ambiance tranquille d’un quartier bien établi. L’Office, qui a disparu, serait enchanté de constater que les idées qu’il défendait ont été si bien menées à terme, c’est-à-dire la responsabilité du citoyen vis-à-vis de la communauté et celle de la communauté face au citoyen.

Personnes interrogées :

Pat Jones, Elwood et Marjorie Edey, Eldon Sivyer, Dora Gale, Jean Ouimet, Ralph Peppy, Marg et Ossie Miles, Jean McClurg, Verla et Harry Hayes, Snookie McConnell, Owen Collins
L’exécutif de l’Association des résidents de Lakeview Terrace:
François Tran, Bill Dolan, Louis Huot, Bastian Kruidenier, Debbie Sladden, Keith Howard, Art Peppy, Ray Carson, Anne Artigau, Vicki Laprairie, Hank Mason,
souhaite remercier les personnes suivantes pour leur précieuse collaboration, sans laquelle cette célébration du 40e anniversaire n’aurait pas été possible :
Basil Alexander, Margaret Alexander, Jean-Pierre Artigau, Claire Bent, Pam Carson, Maurice Constant, Pat Dolan, Fred Gilbert, Rachel Grondin, Sheila Glendon, Polly Gray, Norma Huot, Hélène Kruidenier, Simone Jaenicke, Edith Murray, Ernie Matthew, Ossie Miles, Tony McDonald, Jacques Mongrain, Nancy Peppy, Margaret Prat, Robert Sladden, Carole Tran, James Tomkins
ainsi que toutes les autres personnes qui ont contribué directement ou indirectement au succès de cet événement.

Une mention spéciale va à Charles Woollam pour avoir assuré l’impression de ce livre souvenir.
A André Touchet, notre échevin, notre grande reconnaissance pour nous avoir si bien représentés à l’occasion de cet anniversaire.
A tous, notre plus profonde reconnaissance.
L’exécutif.

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